Pour en finir avec Bérénice...
création 2010
Direction artistique : Faustin Linyekula
Interprètes : Innocent Bolunda, Madeleine Bomendje BIAC, Daddy Kamono Moanda,
Joseph Pitshou Kikukama, Véronique Aka Kwadeba, Pasco Losanganya Pie XIII et
Faustin Linyekula.
Assistant à la mise en scène : Robain Lomandé Moise
Musique : Flamme Kapaya
Régie lumière : Virginie Galas
Production : Studios Kabako / Virginie Dupray, assistée de Jean-Louis Mwandika
et Eddy Mbalanga.
Coproduction : Festival d’Avignon, Centre national de danse contemporaine
Angers, Nouveau Théâtre d'Angers-Centre dramatique national Pays de la Loire,
Théâtre national de Chaillot, Festival Theaterformen Braunschweig Hannover.
Avec le soutien de l’Alliance Franco-Congolaise de Kisangani.
Après plusieurs années d’un travail où j’ai puisé directement dans des expériences intimes personnelles, ou plus collectives à travers la grande histoire, celle de mon pays, et les petites histoires, celles de mes compagnons de création, s’est posé pour moi la question du comment…, comment poursuivre mon chemin sans tout à fait brûler, peut-être en se tournant vers d’autres histoires, d’autres images, d’autres énergies… La musique ndombolo dans more more more… future ou les mots de Racine, à l’invitation de la Comédie-Française et du Théâtre de Gennevilliers. Les vers de Bérénice m’ont ainsi accompagné plusieurs semaines entre novembre 08 et mars 09 aux côtés de Shah, Bakary, Céline et Bruno, comédiens du Français…
Au cœur de mon propos s’affirmait la notion d’altérité, d’étrangeté, étrangeté de l’étranger…
Etrangeté de cette expérience : mettre en scène Racine, cette langue du XVIIe siècle, dans cette maison chargée d’une histoire qui ne m’appartient pas, au fonctionnement un peu mystérieux, avec des comédiens dont le métier, incarner des rôles, m’était jusqu’alors inconnu…
Etrangeté de la condition aussi. Celle de Bérénice, reine de Palestine, rejetée par Rome en raison du sang d’Orient qui coule dans ses veines. Ou l’histoire d’une expulsion... Bérénice a donné son sang pour ce nouvel empereur. Qu’est-ce qui fait d’elle encore une étrangère ? Qu’est-ce qui fait que l’on reste ou non un étranger ? Est-ce l’histoire commune, est-ce un territoire partagé ? Sommes-nous condamnés par le sang à une histoire donnée ?
Dès le début de ce compagnonnage, s’est imposé la nécessité de ramener Bérénice sur mon territoire, au Congo, à Kisangani, peut-être pour enfin en finir avec elle !
Plonger ce texte, comme un espace clos, avec ses propres règles, ses propres logiques, dans la réalité du Congo aujourd’hui ? Et observer comment cette réalité peut infiltrer, contaminer Bérénice ?
Ne sommes-nous pas ainsi au Congo dans un temps racinien, où les puissants détiennent le pouvoir de vie et de mort ? J’ai été frappé par cette dédicace de Racine à Monseigneur Colbert et signée « Votre très humble et très obéissant serviteur ».
Dans un pays où la liberté d’expression se resserre chaque jour, comment composer avec les puissants sans pour autant les courtiser, comment continuer à dire sans mettre en péril ce que l’on a construit…
Ne retrouve-t-on pas la tragédie de Bérénice dans cette époque troublée où l’on peine à reconnaître les peuples avec qui l’on partage depuis longtemps une histoire et une mémoire communes, où dans le tourbillon politique, le voisin, l’ami d’enfance devient en quelques jours un étranger ? De l’Ouganda à l’Angola, du Rwanda au Soudan, le pays brûle à chaque frontière de ne pas reconnaître son sang, ses liens, ses dettes…
Et puis la question du français, devenue ma première langue mais langue étrangère, qui n’est pas la langue avec laquelle je parle à ma mère ou à ma grand-mère… Comment le français résistera-t-il à Kisangani à des bouches qui ne le maîtrisent pas ? Comment la tragédie pourra ou non se transformer, prise en charge par des corps et des histoires différentes ? Le français, la langue qui a tué le pays, « nde eboma mboka oyo », c’est ce qu’on entend souvent dans les rues de Kinshasa… Le français ou ceux qui le maîtrisent… Langue officielle, elle dicte tout document administratif, toute déclaration officielle, tout contrat, tout accord privé et régit de la naissance à la mort la vie légale et administrative de chaque Congolais. Pourtant, à peine 10 % d’entre eux la maîtrisent… Que penser d’une démocratie dont la constitution en français ne peut être comprise par l’écrasante majorité de ses habitants ?