- Pourquoi t’appelle-t-on dinosaure ?
- Parce que je suis le dernier de ma race. Dernier de ma race comme la dernière bouteille de bière fraîche dans une ville à l’orée de la civilisation. Dernier de ma race comme le dernier sourire d’un braqueur de banque à l’agonie, emportant à jamais avec lui le secret de ses trésors. Dernier de ma race comme la dernière tirade de Molière, le Requiem de Mozart, le dernier cachet du virtuose. Dernier de ma race comme la toute dernière mandarine s’agrippant encore obstinément à un arbre rabougri alors que la saison des sécheresses déjà revêt le paysage de sa funeste robe brune. Comme la dernière brique de sperme avant l’andropause. Comme le dernier roi d’une courte dynastie. La dernière énigme du mystère. Le dernier bateau sur le fleuve. Dernier baiser. Dernier sommeil. Dernier amour. Dernier plaidoyer au pied du dernier échafaud du tout dernier des gamins-apprentis-dictateurs.
Requiem aeternam dona nobis, Domine
- De quelle race es-tu ?
- De la race des chiens
- Plutôt bête, ça !
- Je veux dire de la race des chiens du roi, de la race des chiens-fous-du-roi, de la race des chiens poètes, de ceux qui naissent la danse dans les jambes et la foudre dans le regard, la race des poètes-saltimbanques, des sopranos-scalpeurs, de ceux qui sont nus sur la place publique sans en éprouver aucune sorte de gêne qu’on ne sait plus s’il les faut dire innocents ou pervers. Je suis de la race de ceux que l’on condamne à mort pour le restant de leur vie les yeux fermés, le nez pincé et le visage détourné. Je suis le vomitorium de la République.
Kyrie eleison
Christe eleison
Un monologue de chien, Antoine Vumilia Muhindo, Prison de Makala, Kinshasa, 2006