�a y est, �a va commencer !

Ici, on a du temps, du temps pour oublier le reste, la nuit est longue, la nuit doit �tre longue, on y respire enfin, apr�s les agitations et les va-et-vient, les pieds de grue et les empoignades, pour parfois presque rien ou pas grand-chose... Apprendre que la paie n'est toujours pas arriv�e et se dire que l'on ferait mieux de trouver un zong-zing, une combine, un petit business pour les prochains jours et les prochains repas. Prendre son courage � deux mains pour refaire les quelques heures d'attente et de transport en commun, le commun prenant ici tout son sens, comme si dans ces bus bond�s, ce sont aussi les corps, les pieds et la sueur que l'on avait en commun...

Bref, on oublie tout, on respire enfin, il fait presque frais, une bi�re Primus ou Skol selon qui est � l'affiche, �a va commencer...
La sc�ne est souvent �troite, parfois un rien branlante. Ils sont l� pourtant, et nombreux : une bonne dizaine de danseurs, souvent au f�minin, autant de chanteurs, souvent au masculin, un ou deux atalaku, � animateur(s) �, et puis les musiciens, batteur, bassiste, guitaristes, clavier... Et puis ceux qui s'affichent, ceux qui ont pay� pour �tre l� et ceux qui sont l�, tol�r�s, parce que..., eux seuls le savent... Lui, Celui pour qui l'on est venu, n'arrivera que plus tard, il faut pr�parer le public.

Ca y est, �a commence... On a eu le temps de boire, Primus ou Skol, de manger une tige ou deux (brochettes de croupions, � croire que le Congo est le plus grand importateur de croupions de dinde, les cuisses et la chair vont ailleurs !), le temps de draguer, de regarder...
La sc�ne est �troite et chacun essaie d'y faire sa place pour faire ce qu'il doit faire : les chanteuses dansent, habill�es en princesses, sexy en diable, jeunes, le corps pour seule raison d'�tre, un corps � vendre, dans son image et peut-�tre un peu plus tard dans sa chair...
Elles ex�cutent les chor�graphies que le public conna�t par c�ur et reprendra en un ensemble fascinant dans les clubs de la ville. Des chor�graphies ponctu�es de figures, passages oblig�s, le canard qui bo�te, l'amput� de guerre, le singe..., images saisissantes du corps meurtri ou follement lib�r�...

Les chanteurs ensemble ou en solo pr�parent le terrain pour Celui, � Roi �, � Papa �, � Pr�sident tout puissant �, � Empereur � que tout le monde attend... Les voix sont puissantes et f�minines � la fois, une voix que transperce �� et l� une onomatop�e, un sifflement, un cri, celui de l'atalaku qui, tour � tour, prie, ordonne, encourage public et musiciens. Le cri, l�ch�, �puis�, relanc�, non pas le cri qui sort une fois pour toutes, mais celui qui se d�verse, ind�finiment.
Les musiciens en derni�re ligne, les musiciens, on ne les voit plus, mais ils jouent, magnifiquement souvent. Le son en t�moigne, du son, gros son, satur�, s'en fout les normes et les neurones qui p�tent, on a pay� pour �a, du gros son qui s'entend de loin, des accords de guitare magnifiques bouff�s par le son, du son mang� par le bruit, du bruit corrompu par la musique...
Et puis Il, Dieu, le Pape, le King... arrive ; habit de lumi�re, l'incarnation de la star, il ne doit pas d�cevoir, peu importe sa prestation, il faut qu'il soit l�, pleinement l�, � la taille des r�ves des gens... �normes et pauvres � la fois !
Un petit monde sur sc�ne, o� chacun aurait rev�tu un manteau de luxe, de bien-�tre et de sensualit�, pour quelques heures seulement.

Un peu plus tard, le string d�passe, une bretelle se casse, la sueur colle les chemises synth�tiques des chanteurs, minuit, c'est vrai, a depuis longtemps sonn�.
Les corps et les voix fatigu�s, la danseuse s'assoit sur le c�t�, la princesse redevient petite fille, l'habit, d�guisement de pacotille, le maquillage a coul�, le jour approche, les transports ont repris dans Kinshasa endormi.

More more more... future, c'est mettre en sc�ne ces r�ves rattrap�s par le matin, cette com�die humaine � la congolaise, cette �nergie puissante qui, l'espace de quelques heures, emplit le vide, des caisses de l'�tat et du quotidien, comble les trous des routes et des m�moires, rassasie les ventres et les fantasmes.
Laisser de c�t� la pacotille, les belles voitures, les fringues griff�es, pour revenir � la rage, � la jubilation, au cri justement, cri des guitares, cri des voix, cri des corps, cri devant l'impossibilit� du quotidien qui slalome entre les n�gations (pas d'argent, pas d'eau, pas d'�lectricit�, pas de transport...) et les horreurs absurdes d'une histoire qui s'invente chaque jour de nouveaux supplices.

Il y a du punk dans tout cela, de la r�volte des jeunes prolos blancs des ann�es 70 et 80 dans une soci�t� certifi�e sans futur.
Du futur, au Congo, il n'y en a plus depuis longtemps, alors justement en r�clamer plus, et plus et plus encore... jamais trop...
Plus de futur pour les jeunes musiciens du projet : Patou � temp�te � ou C�dric � b�ton � comme pour mieux se foutre de la fragilit� des vies et des projets de ce c�t�-ci du globe. Plus de futur pour Le Coq chante, c'est le pr�nom qu'il a fait inscrire sur sa carte d'�lecteur, Le Coq chante !, dans un pays o� les jeunes � d�faut de s'inventer des destins, peuvent au moins s'inventer des noms et des dates de naissance...
Alors Patou, Le Coq, C�dric, Papy l'ancien (huit ans d�j� avec les Studios Kabako !) et Dino, le petit fr�re, Patient Kake Ya Moyi (la foudre en plein jour en lingala), Flamme et Faustin iront de par le monde et reviendront � Kinshasa ou Kisangani, un peu plus de futur en poche, de grands r�ves dans la t�te et des chemins pour y parvenir...
�a y est, �a va commencer, je vous dis !