Drums and Digging
création 013




Direction artistique : Faustin Linyekula
Avec : Papy Ebotani, Véronique Aka Kwadeba, Rosette Lemba, Faustin Linyekula, Yves Mwamba, Pasnas, Pasco Losanganya
Scénographie : Bärbel Müller
Lumière : Virginie Galas
Assistant à la chorégraphie : Dorine Mokha
Musique traditionnelle enregistrée et mixée par Faustin Linyekula lors de fêtes à Gbadolite et à Obilo. Obilo : Jamos et les percussionnistes d’Obilo Gbadolite : Sese et le groupe folklorique Lenge Gbado Chansons Mongo chantée en direct transmises à Kinshasa par Mère Evala.
Coproduction : Festival d’Avignon - KVS, Bruxelles - Théâtre de la Ville, Paris - Theaterformen, Hannover/Braunschweig avec le soutien de la Kulturstiftung des Bundes dans le cadre de Shared Spaces - Pamoja, projet porté par les Studios Kabako, programme ACP-UE d’appui au secteur culturel ACP financé par l’Union européenne. 


2001, je reviens au Congo et crée à Kinshasa les Studios Kabako
2012, dix + un donc, et l’envie soudaine de m’asseoir un moment et de créer par ma danse des espaces d’apaisement, de suspension face au poids du quotidien…

Me vient à l’esprit une chanson de Fela, il dit qu’il a tout chanté, tout dénoncé, qu’il a attaqué et a été attaqué et que puisque tout a été dit, qu’est-il possible encore de dire qui n’ait été dit ? Comment trouver les moyens de parler d’autres choses que de ce qui brûle ?

Je retrouverai mes compagnons donc, danseurs comédien, chanteur, non pas pour reprendre la route, mais pour nous asseoir au bord, les pieds dans la poussière, et nous interroger…
Pourquoi sommes-nous toujours là ? Qu’avions-nous espéré ? Et qu’est-ce qui nous retient encore là ? Nous avons vu le monde, nous aurions pu comme d’autres demeurer ici ou là, ailleurs en tout cas… Alors pourquoi ?
Qu’espérons-nous, un miracle qui nous tomberait sur le coin de la tête… pourquoi pas ? Aussi probable sans doute que le « développement intégral et rapide » promis par nos politiciens…
Nous asseoir un moment et peut-être retrouver les lieux de nos premiers rêves…

Le rêve d’un maréchal
Le Maréchal fut peut-être pour tout un peuple le rêve ultime, un rêve collectif de pouvoir et de richesse, de magie et d’omnipotence, le Maréchal pouvait tout, savait tout, était partout…
Un premier rêve qui s’accompagnera d’un premier voyage avec l’équipe : aller à Gbadolite, alors centre névralgique de l’empire, aujourd’hui petite ville moribonde dans la forêt de l’Equateur, non loin de la frontière avec la Centrafrique. Mobutu y fit le choix dans les années 70 d’y bâtir deux palais, son règne, son pouvoir, si loin de la capitale Kinshasa dont il se méfiait, en sécurité au milieu de sa cour, de son peuple.
Tant de rêves jaillirent entre les grands arbres et les petits courtisans…
Véronique, alors enfant et apparentée au Maréchal, connut le palais du temps de sa splendeur, il n’en reste aujourd’hui que ce qui n’a pu être pris.
Nous irons deux semaines à Gbadolite, nous pénétrerons ces ruines comme l’on entrerait dans les ruines du palais d’un dieu, nous chanterons les ruines, nous danserons les ruines pour essayer de recueillir la magie, trouver la clé pour lire cette bien étrange histoire dans laquelle nous avons grandi, mettre en face la grande et la petite histoire.

Le rêve d’Obilo
En janvier 2011, je suis retourné pour la première fois à Obilo, un petit village à 82 kilomètres de Kisangani, adossé à l’Equateur, village où j’ai grandi entre 4 et 8 ans, avec mon père alors instituteur. J’y partis à la recherche de mes premiers souvenirs de danse.
Des danses, il y en avait beaucoup pour les fêtes, les mariages, les deuils, les naissances mais celles dont je me souviens, sont ces danses nocturnes dont les enfants étaient interdits… ces danses que l’on écoutait dans la nuit, incapables de s’endormir…
De ce voyage est né mon premier solo, Le Cargo.
Je voudrais retourner deux semaines avec l’équipe dans ce village éloigné de tout, comme une retraite avant l’entrée en « studio » à Kisangani, une longue veillée où chacun poserait  au centre du cercle la matière de ses rêves, ses premiers rêves dans ce Congo ou cette Afrique de l’enfance.

Le rêve de Kisangani
Et si les rêves ont disparu, peut-être est-ce aujourd’hui de notre responsabilité d’en inventer…
Peut-être est-ce cela le projet des Studios Kabako, ouvrir des espaces de rêves à travers la transmission, l’accompagnement de projets, à travers ce projet architectural que nous développons avec l’architecte Bärbel Müller.
Ce projet un peu fou, c’est créer une série de trois centres culturels à travers la ville, des structures décentralisées en périphérie, chacune avec une couleur (un centre de résidence / laboratoire, un centre de diffusion, un centre citoyen) et générer à la manière de l’acupuncture des circulations d’hommes et de femmes, d’énergies à travers le corps urbain…
J’inviterai donc Bärbel à imaginer une scénographie, construire un espace éphémère comme les architectes délimitent parfois les silhouettes des futures structures avec des bambous et des ficelles, imaginer un dialogue entre l’architecture et l’espace fragile du spectacle.
L’écriture s’articulera aussi autour de cette cour qui nous sert depuis deux ans de lieu de travail, de « studio ». Nous y ramènerons la magie et les souvenirs.
Sur une grande parcelle s’est installée une scène à ciel ouvert entourée d’un muret de bambous ; un plancher, de la sciure compressée, des bâches bleues de camion, devant une vaste maison-du-temps-du-pays-qui-marchait-mieux et qui abrite nos bureaux, un studio d’enregistrement et de répétition pour la musique et des espaces de stockage technique.
Slalomant entre les coupures de courant, les fameux « délestages », le soleil qui brûle ou les orages qui noient la scène en quelques minutes, nous écouterons  les sons…
Nous écouterons les camions et les motos qui passent, les oiseaux, les palmiers qui bruissent avant l’orage, le manguier qui ne dit rien, mais se contente de faire de l’ombre sur notre scène, les cris des enfants qui jouent le soir…
Ecrire les passages : les mamans qui longent la scène pour atteindre le robinet de l’autre côté de la parcelle, une cuvette remplie de vaisselles en équilibre sur la tête, l’arrivée des jeunes qui viennent voir ce qui se passe, artistes ou copains d’artistes, le crépitement d’une moto indienne ou chinoise qui s’arrête derrière les bambous. Il pleut doucement aujourd’hui, une fillette passe en faisant tourner un grand parapluie multicolore…
Cette cour sera au cœur de la pièce, cette cour si ouverte sur le monde, la rue, les odeurs de cuisine, les interpellations des mamans, les bruits de seaux et de vaisselle…
Comment dans cette cour relier le théâtre à un espace au-delà du théâtre, une manière d’accueillir la vie comme matière même du travail, comme essence de cette quête artistique.
Le théâtre, c’est peut-être isoler un carré au milieu de la vie, un carré neutre où inscrire un propos, mais en jetant des ponts vers la périphérie, l’extérieur, la réalité afin qu’elle puisse subitement débouler, envahir le carré, contaminer l’espace et brouiller un moment les frontières. Il s’agit alors d’éprouver la résistance du carré, de la construction, des frontières à résister à cette soudaine invasion, à se maintenir malgré tout…
 F. Linyekula – V. Dupray



About Drums and Digging, a conversation with Rosslym Hyams pour RFI (in English, en anglais)


Autour de Drums and Digging, entretien de Faustin Linyekula avec Muriel Maalouf, RFI